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Chroniques
I masnadieri | Les brigands
opéra de Giuseppe Verdi
En terre ibérique, ma promenade lyrique [lire notre chronique de l’avant-veille] se poursuit avec un opéra assez rare de Giuseppe Verdi, I masnadieri, achevé en 1846 – un Verdi de jeunesse, donc, conçu pour Londres d’après Die Räuber de Schiller (Les brigands, 1782), pièce mise en livret par Andrea Maffei. Bien qu’encore atypique du compositeur qui sacrifie volontiers à l’autel des conventions, l’ouvrage n’a rien d’un coup d’épée dans l’eau. Il révèle une maîtrise solide d’un style bien de son temps. Peut-être l’auteur avait-il besoin, à ce moment précis de son évolution, de se rassurer en réunissant les ingrédients d’une facture de bon métier, après les jalons plus audacieux qu’il réalisait à travers I due foscari [lire nos critiques des productions de Werner Düggelin et de Thaddeus Strassberger] et surtout Macbet [lire nos chroniques des 11 octobre et 12 juin 2018, des 18 juillet et 30 juin 2017, du 15 juin 2016, du 7 mai 2015, du 11 octobre 2014, des 15 octobre, 15 juin et 25 janvier 2012, enfin du 4 avril 2009]. Toujours est-il qu’à la création, le 22 juillet 1847, le public britannique courut découvrir ce nouvel opus du père des fameux Ernani et Nabucco, dont la distribution vocale – excellente, si l’on en croit les feuilles de chou de l’époque – fut même applaudie par la reine Victoria ! Bref, sans être vraiment un chef-d’œuvre, I masnadieri mérite la scène.
À Valence, le Palau de les arts Reina Sofía invite la coproduction signée, il y a déjà longtemps, par Gabriele Lavia pour La Fenice (Venise) et le Teatro San Carlo (Naples), disponible en DVD [lire notre critique]. Dans les lumières de Nadia García, cette reprise est coordonnée par Allex Aguilera. Nous sommes face à un entrepôt en périphérie urbaine, abondamment tagué et graffité. Passé l’effet de surprise, ce décor unique, réalisé par Alessandro Camera, n’offre que peu de possibilité aux clans mafieux qui s’y rencontrent, costumés par Andrea Viotti. Oui, j’avoue : je m’ennuie beaucoup…
Mais le rendez-vous est loin d’être manqué, grâce à la direction musicale soigneuse de Roberto Abbado à la tête de l’Orquestra de la Comunitat Valenciana. Dès les premières mesures, le chef italien [lire nos chroniques d’I vespri siciliani, Mosè in Egitto et Le siège de Corinthe] révèle la tension dramatique adéquate, dans une Ouverture inspirée dont l’Andante dépose comme sur un coussin le solo mélancolique du violoncelle, très émouvant. Cette lecture fort estimable est mue par un nerf toujours sur le qui-vive, déclinant en bonne intelligence verdienne la palette de nuances. L’impact et la musicalité des voix du Cor de la Generalitat Valenciana domine une prestation chorale qu’on apprécie à sa juste valeur. Sans jamais faire oublier la balance entre la scène et la fosse, Abbado fait retentir toute la puissance lyrique de Verdi.
La cast contribue grandement au plaisir. Outre des rôles secondaires ici tous bien tenus, par Mark Serdiuk en Rolla, l’efficace Gabriele Sagona en Moser et le jeune ténor coréen Bum Joo Lee luxueusement distribué en Arminio, il faut préciser que l’œuvre exige un quatuor de tête en acier trempé ! La vaillance en est donc le mot d’ordre. Et de vaillance, Stefano Secco ne manque pas [lire nos chroniques de Rigoletto, Messa da Requiem, La bohème et Roberto Devereux]. Avec un chant fervent, le ténor incarne un Carlo passionné par le timbre mais fatigué pour la ligne de chant. Étrangement, l’émission paraît hésiter entre plusieurs canaux et les notes de passages sont souvent négociées au plus pressé. Pourtant, il triomphe grâce à cette générosité dans l’engagement artistique qui le caractérise. Repérée à Parme cet automne [lire notre chronique du 12 octobre 2018], la toute jeune Roberta Mantegna est une Amalia magnifique. L’élégance du phrasé est un atout de taille, dans une voix d’un format si généreux dont l’aigu n’est pas ménagé par la partition. Lo sguardo avea révèle une admirable agilité de belcantiste. Quel bonheur de voir s’élever une artiste dont la carrière devrait bientôt prendre un bel envol ! On retrouve aussi le baryton très vigoureux Artur Ruciński dans le rôle tourmenté de Francesco [lire nos chroniques du 4 janvier 2014, du 23 octobre 2016, du 1er décembre 2017 et du 7 juillet 2018]. L’intensité de son chant, vif-argent, et sa présence théâtrale font oublier la mise en scène loupée. Enfin, en Massimiliano la grande basse Michele Pertusi livre un père émouvant (sublime Misericorde così sia teco !). Souple et noble, l’émission se complète d’une couleur profonde, parfois nera-nera, et le personnage gagne une dignité parfaite [lire nos chroniques de La sonnambula, I puritani, Semiramide, Norma, Jérusalem, Don Carlos, Don Pasquale et Il barbiere di Siviglia]. On ne regrette donc pas d’être venu jusqu’ici.
KO